Mardi 3 septembre 2019, Château de Rayne-Vigneau 33210 BOMMES

1. Question de Stéphanie Lachaud : Diriez-vous que le marché connaît actuellement une forme de crise ou, au contraire, pensez-vous que ce terme soit trop alarmiste ? Difficultés que vous identifiez ? Quel regard portez-vous sur les conditions actuelles du marché des vins liquoreux ? Comment les liquoreux pourraient‑ils prendre plus d’importance sur la place de Bordeaux ?

David Bolzan, directeur général des Vignobles Silvio Denz, propriétaires du Château Lafaurie-Peyraguey à Sauternes : ce n’est pas une crise de la consommation mais une crise de l’innovation. Il faut créer de nouvelles idées. Il considère qu’il ne faut pas incriminer le produit en tant que tel mais plutôt sur la manière de le valoriser et de le proposer aux consommateurs. Il peut être consommé de plusieurs manières : accords mets-vins, frais, très frais, moins frais. Retour qui est très positif au niveau de l’hôtel restaurant sur les vins et les produits, retour aussi très positif au niveau de l’immersion. Cela permet de fidéliser la clientèle et vendre. Le vin de Sauternes s’achète moins mais surtout s’offre moins.

David Froléon, responsable marketing à la Compagnie Médocaine des Grands Crus, propriétaire à Loupiac : en 1970, 50 % du Bordelais était en blanc et 8,5 % aujourd’hui. La crise est donc celle de l’ensemble des vins blancs bordelais (11 % de la production totale). Or, il y a un vrai engouement des consommateurs lors des fêtes dédiées aux vins. Pourtant les importations de vins liquoreux sont difficiles à maintenir. Des actions sont faites par le négoce pour amener les clients dans le vignoble des liquoreux, dégustations, informations sur le processus de garde et le produit. Des éléments positifs existent, notamment grâce au retour d’expérience du Tokaj, qui connaît un regain de prospérité (autres cépages, bouteille plus petite ? question de mode ?). Il y a depuis 20 ans une transformation du paysage, des châteaux ouverts le week-end, restaurants, qui sont des aspects positifs. Plutôt optimiste.

Hubert Lagrue, président de la société Gardere Haramboure, intermédiaire de commerce du vin : Le négoce n’est pas là pour innover, il va là où c’est possible. Le point de départ doit venir du local. Il faut créer des marques. Il faut que les commerciaux fassent leur travail et le marché est étroit, la marge faible. Donc les négociants se détournent des liquoreux.

• Question de Stéphanie Lachaud : Comment pensez-vous que la production de liquoreux pourrait être mieux valorisée sur le marché des vins ?

Alexandre de Lur Saluces, propriétaire du Château de Fargues : il faut se dépêcher de protéger l’appellation Sauternes car elle peut disparaître. Les gens aiment les chosent naturelles, respectueuses de la nature, de la santé. Mais il y a une forme de déconnection entre les propriétaires et le négoce. Il faut se mettre d’accord sur le discours à transmettre. Pourquoi une marque serait‑elle utile ? La question de la marque n’aurait pas de sens à Sauternes. Il y a eu des moments de crise et d’enthousiasme pour le sauternes. Il y a une vérité et une authenticité pour le sauternes qu’il ne faut pas perdre de vue.

• Question de Stéphanie Lachaud : De la part du négoce et du courtage, quels sont aujourd’hui les freins à la valorisation de ces vins dans le monde du commerce ? Quelles initiatives pourraient être envisagées ou existent déjà et qu’il faudrait étendre ?

David Froléon : Produits d’exportation avec des prix moyens élevés : États-Unis, Hong Kong, Chine, Royaume Uni. Ils achètent plutôt des crus classés. Pour les consommateurs allemands, il s’agit surtout de vins plus modestes, notamment venus de la rive droite. Les autres circuits de distribution doivent être valorisés, hors grande distribution : vin au verre au restaurant, vente directe à la propriété. Aux États‑Unis, la restauration et le vin au verre fonctionnent bien ; beaucoup sous forme de cadeaux en Asie.

David Bolzan : Contexte de consommation très important. Au restaurant, les innovations sont quotidiennes. Mais pour ce qui concerne les consommateurs plus classiques : le vin se consomme énormément, particulièrement aujourd’hui à l’apéritif. Dans ce contexte, le sauternes a un rôle à jouer, pour le goût et parce que le sucré convient à ce moment d’avant-repas où les gens ont faim. Il faut créer des choses un peu neuves, dans les manières de consommer les vins. Il faut ajouter différents univers de consommation.

Salle : Les professionnels présents dans la salle insistent sur la tendance à la consommation de sauternes jeune car les vins ont évolué et sont appréciés plus frais et plus jeunes.

• 4.       Autres questions de Stéphanie Lachaud : Comment reprendre contact avec les consommateurs ? Le problème n’est, en effet, pas le caractère sucré des vins : les gens aiment les vins liquoreux. Le produit traditionnel n’est pas remis en question en tant que tel. Comment le faire acheter et ré-acheter ?  Comment travailler sur une offre nouvelle ? La réponse n’est‑elle pas de diversifier cette offre et de réfléchir à des circuits de commercialisation et de valorisation émergents ?

Réponses conjointes et de la salle : Il faut que le vin s’inscrive dans le champ des valeurs des consommateurs : respect de l’environnement particulièrement, rapport à l’histoire du produit, savoir-faire et histoire attachés. Il faut aussi travailler sur l’effet générationnel car il y a pas mal de jeunes consommateurs dans les dégustations et manifestations. Il faut que les consommateurs s’intéressent plus aux liquoreux et cela prend du temps. La directrice marketing des vignerons de Tutiac insiste d’ailleurs sur le gros succès à Bordeaux des sauternes dans le bar à vin qui vient d’être ouvert ou bien sous forme de vin au verre ou bien sous forme de cocktails. Slanie de Pontac Ricard, propriétaire du Château Myrat et présidente des Crus Classés de Sauternes Barsac, insiste aussi sur le fait que le négoce doit être plus actif dans la promotion et la vente des vins blancs liquoreux, particulièrement pour que les magasins aient une offre de liquoreux plus diversifiée. Qui plus est, la communication en direction des marchés extérieurs (Asie, États-Unis, pays voisins) et très importante et doit être accentuée.

Michel Aguirre, directeur d’exploitation au Château La Tour Blanche à Bommes, clôt la table ronde en insistant sur une problématique de gouvernance territoriale qui a des effets considérables en termes de visibilité sur le marché et qui provoque une absence de valeur identifiée auprès du consommateur. Selon lui, il manque réellement à Sauternes une vision collective qui expliquerait comment consommer le vin et exprimerait une voix commune. Selon lui, la multiplicité des marques nuit à un effet d’entraînement de l’appellation.

On peut en effet se demander quel rôle jouent la structure territoriale et l’organisation plutôt fragmentée du territoire des Graves du Sud-Gironde. Cet espace semble, de l’extérieur, marqué par une absence d’unité, entre appellations, entre les producteurs de la rive gauche et ceux de la rive droite. Cette question revêt des enjeux politiques forts et mériterait une nouvelle rencontre entre acteurs du monde socio‑professionnels, politiques à l’échelle locale et régionale, historien.ne.s et géographes.

---

---